samedi 18 juin 2011

Les particularités de l'adoption à Madagascar.

Dernière petite publication marseillaise, il s'agit là d'un petit travail spécifique sur Madagascar, présenté sous forme d'une "Poster commenté", en voici une forme développée et "vulgarisée" :


Les particularités des enfants malgaches adoptés en France
Données de la Consultation Adoption Outremer du CHU de Dijon


de Monléon JV (PH), Goutchkoff L (Interne de Pédiatrie), Teumagnie M (Interne de Pédiatrie), Merville N (Interne de Pédiatrie), Huet F (PU-PH, Doyen de la Faculté)
Consultation Adoption Outremer
Pédiatrie 1- CHU de Dijon



Résumé : Depuis une dizaine d’années Madagascar est un des principaux pays d’origine pour les enfants adoptés en France. Les causes de l’abandon sont essentiellement socio-économiques mais aussi culturelle avec la particularité des jumeaux de Mananjary. Les causes de l’adoption étant principalement dues aux défauts de fécondité. Parmi les problèmes de santé prédominent les parasites et la dénutrition, ainsi que des soucis dont l’évidence n’apparaît qu’après l’arrivée en France : des pubertés trop rapides, des troubles du comportement, mais aussi des hépatites B non diagnostiquées à Madagascar.

Mots-clés : Adoption, Enfant, Madagascar

Abstract : The particularities of Malagasy children adopted in France. Dijon Overseas Adoption Clinics Data.
For the past ten years, most of the children adopted in France have been coming from Madagascar. The children are abandoned mainly for social and economic reasons, but also for cultural reasons as with the particular case of the Mananjary twins. The main cause for adoption being mainly due to fertility problems. The most important health problems of these children are parasites and malnutrition. Other problems appear later, after their arrival in France : accelerated puberty, abnormal behaviour, but also B hepatitises that have not been diagnosed in Madagascar.

Key words : Adoption, Child, Madagascar




La Consultation d’Adoption Outremer (CAO) du CHU de Dijon est le principal centre d’accueil et de suivi des enfants adoptés en France. Depuis sa création en juin 1999, jusqu’au mois de juin 2009, elle a permis le suivi de plus de 1800 enfants originaires de 66 pays différents.
Malgré la fermeture de l’adoption malgache depuis quelques années, les enfants adoptés à Madagascar occupent une part importante dans cette consultation, puisque 87 enfants ont été suivis, ce qui situe ce pays à la sixième place (après Haïti, la Colombie, l’Ethiopie, le Vietnam et la Russie). Ce sont les données de cette cohorte qui sont ici présentées.

Données générales :
Les 87 enfants sont issus de 74 familles biologiques puisque plusieurs fratries ont été adoptées. Certains foyers ayant adopté plusieurs enfants, on retrouve, pour ces 87 enfants, 63 familles adoptives : une famille a, par exemple, adopté quatre enfants issus de 3 fratries différentes.
Sex-ratio : il est de 30 garçons pour 57 filles (34% de garçons). La prédominance féminine s’explique par une préférence masculine qui existe dans de nombreuses sociétés (1,2), discriminante pour les filles, qui seront ainsi les enfants dont les parents se débarrasseront en premier. Elle se retrouve dans la population générale des enfants suivis dans la CAO, où le sex-ratio est de 736 garçons sur 1624 enfants (45% de garçons). Cette différence est encore plus nette à Madagascar, sans que des causes soient clairement identifiées.
Age au moment de l’adoption : les enfants malgaches étaient âgés d’un mois à sept ans et dix mois au moment de leur adoption. Un seul a été adopté avant l’âge de 3 mois, mais près des trois quarts (62/87) ont moins de deux ans au moment de leur adoption. Aucun n’a été adopté après l’âge de 8 ans. En comparaison, dans la population générale de la CAO, 4% sont adoptés avant 3 mois, 50% avant 2 ans, et 3% après l’âge de 8 ans.
La séparation :
Raisons de la séparation :
Parmi les multiples causes qui poussent des familles à se séparer de leurs enfants, deux sont particulièrement représentées à Madagascar.
La cause à la fois sociale et économique est la cause principale, avec 54 % des cas (47 enfants) et, pour 46 enfants, la raison plus précise en est une mère seule sans revenu, le père étant parti pendant la grossesse. Ceci témoigne des importants soucis économiques du pays, mais aussi de la perte de certaines valeurs comme la structure familiale.
La deuxième cause de séparation (22 %) est culturelle (19/87). Pour un enfant, originaire de la capitale malgache Antananarivo, il s’agissait d’une suspicion de malédiction (de nombreux enfants étant morts en bas âge dans cette famille). Pour les 18 autres, c’est une particularité régionale, un interdit (fady) par rapport aux jumeaux, qui touche l’ethnie des Antambahoaka sur la côte est du pays. Ainsi, sur les 87 enfants de cette cohorte, 20 sont issus de grossesses gémellaires, parmi lesquels 18 (issus de 11 fratries biologiques) viennent de la ville de Mananjary, capitale de l’ethnie en question. Et c’est bien la « malédiction des jumeaux » qui les empêche de rester auprès de leur famille biologique (1, 3, 4).
Pour ces deux causes (mère abandonnée sans revenus et raison culturelle), une telle proportion n’est retrouvée dans aucun autre pays. D’autres raisons sont retrouvées de manière plus confidentielle : cause sociale dans 5 cas (enfant né hors mariage ou refus de l’enfant par le nouveau conjoint maternel), orphelins à 4 reprises, raison purement économique dans 8 cas, une décision administrative de retrait d’enfant par les autorités suite à des carences, un problème de santé grave chez un enfant ayant justifié son adoption pour lui permettre d’avoir des soins appropriés, et enfin deux enfants trouvés.
Origine régionale :
La majorité des enfants (53/87, soit 61 %) sont originaires de la capitale Antananarivo ou de sa proche banlieue, 22 de la petite ville de Mananjary (25%) sans doute du fait de la particularité de l’adoption des jumeaux dans cette région, 6 viennent de l’île de Sainte Marie (Nosy Boraha), et 4 de la ville importante d’Antsirabe, à deux heures d’Antananarivo.
Le principal orphelinat, dans notre série, est le CATJA : Centre d’Accueil et de Transit des Jumeaux Abandonnés qui se situe, comme déjà indiqué, à Mananjary.
Seuls 7 enfants ne sont pas passés par des orphelinats, ayant été pris en charge dans des familles d’accueil ou, dans un cas, ayant été adopté dès la sortie d’une hospitalisation.
Les parents adoptifs :
Les 63 familles adoptives sont représentées par 59 couples, 3 mères célibataires et une maman veuve, dont le projet d’adoption datait d’avant le décès de son mari.
Au moment de l’adoption, l’âge des parents variait de 26 à 69 ans.
Age : si seul un père est âgé de moins de 30 ans, la majorité des parents (49 % des pères et 64 % des mères) ont entre 30 et 40 ans au moment de l’adoption, et peu sont âgés de plus de 50 ans (6 % des pères et 4 % des mères).
Profession : comme souvent dans l’adoption internationale, le niveau socio-économique des familles adoptives est élevé, 41 % sont de très haut niveau professionnel (chef d’entreprise, cadres, médecins, etc) et 54 % font partie de la classe moyenne à supérieure (infirmiers, techniciens, enseignants, etc), on peut noter des professions plus originales avec un père pasteur et un autre qui est un célèbre écrivain.
Les raisons de l’adoption : sont assez proches des raisons retrouvées dans toutes les adoptions, qui sont, pour 75 % des soucis de fécondité, pour 15 % le célibat (essentiellement féminin) et pour 10 % une cause « humanitaire », c’est-à-dire des couples ayant déjà des enfants, et qui font le choix d’adopter après souvent 2 ou 3 enfants biologiques ; en ce cas, le désir d’agrandir la famille reste toutefois la cause principale de l’adoption. Ces proportions sont comparables à celles de la population générale (1).
La Santé des enfants adoptés :
Les circonstances de la consultation : Trente-six enfants ont été vus lors d’un bilan d’arrivée, c’est-à-dire lors d’une consultation peu de temps après leur arrivée en France, les autres (51) à distance de l’adoption. L’analyse des problèmes de santé se fera sur la totalité des dossiers.
Liste des antécédents sanitaires annoncés à Madagascar :
Il s’agit des pathologies annoncées aux parents de façon orale ou présentes dans les dossiers médicaux :
Dénutrition 15
Paludisme 14
Parasites intestinaux et GEA 12
Problèmes dermatologiques 11
Infections bactériennes 4
Carence de soins 2
Hépatite Virale B 1
Convulsions 1
Liste des problèmes sanitaires confirmés en France :
Dénutrition 39 (15)
Parasites Intestinaux 29 (12)
Puberté Avancée 17
Problèmes dermatologiques 10 (11)
Asthme, allergie 9
Puberté Précoce 7
Troubles du comportement modérés 7
Erreur d'âge ou doute sur l’âge 6
Hépatite Virale B (dont 2 guéries) 5 (1)
Drépanocytose hétérozygote 5
Rachitisme 4
Retard mental 3
Epilepsie 2
Cysticercose 2
Troubles de l’audition 2
Paludisme 2 (14)
Tuberculose tardive 1
Entre parenthèses, il s’agit du nombre de fois où cette pathologie était annoncée à Madagascar. Les discordances sont assez faciles à expliquer. Une pathologie est plus représentée à Madagascar qu’en France : le paludisme ; en effet, une fois traité efficacement, celui-ci a peu de risques de se reproduire en zone non impaludée, et les deux seuls cas constatés en France l’ont été dans les semaines qui ont suivi l’arrivée en Europe.
La dénutrition et la présence de parasites intestinaux sont bien plus souvent signalées en France qu’à Madagascar. La différence tient au fait que l’état nutritionnel infantile étant meilleur dans un pays favorisé, les critères ne seront pas les mêmes, et l’inquiétude plus importante que dans un pays plus défavorisé. Toujours sur la plan nutritionnel, les quatre cas de rachitisme sont à noter car ils auraient pu être évités avec une exposition au soleil régulière, de ces enfants jeunes, trop souvent placés à l’intérieur des orphelinats, et ne bénéficiant pas de sorties suffisantes. Les pubertés précoces et avancées sont due au changement (principalement alimentaire) secondaire à l’adoption. Elles touchent principalement les petites filles et elles n’apparaissent qu’après l’adoption, leur diagnostic différentiel en sont les doutes sur l’âge (4,5,6).
D’autres pathologies, comme les retards mentaux (3 cas) ou les troubles du comportement (7 cas), ne sont devenues évidentes qu’après une évolution de quelques années ; il en est de même des deux cas de cysticercose mais aussi de l’unique cas de tuberculose, dont la contamination probable a eu lieu en France et non à Madagascar. Un à deux cas des retards mentaux auraient pu être toutefois suspectés dès l’adoption.
Les cas d’asthme et d’épilepsie, ainsi que les troubles de l’audition (appareillables) sont des pathologies courantes, de fréquence élevée, dont l’étiologie n’a rien à voir avec l’adoption et les origines des enfants.
Les cinq cas de drépanocytoses hétérozygotes étaient totalement asymptomatiques cliniquement et n’auront pas de conséquences sur la santé des enfants, ils n’ont été découverts que par des examens systématiques.
Sur les cinq cas d’hépatite B, un seul cas avait été diagnostiqué, deux autres ont montré des traces d’immunité ancienne de cette maladie, les enfants ayant guéri spontanément. Pour les deux cas restants, il s’agit de formes actives, dont la découverte lors du bilan d’arrivée a choqué les parents du fait de la gravité potentielle de cette pathologie. D’autant qu’il s’agit d’une maladie fréquente dans la population des enfants adoptés (4,5).
Il faut toutefois préciser que la plupart des enfants malgaches adoptés en France vont bien, notamment une fois que certaines pathologies (parasitose, dénutrition, etc..) sont corrigées. Ils s’adaptent particulièrement bien dans leurs familles, la cause en étant probablement, autre particularité de l’adoption dans ce pays, l’attachement des parents adoptifs envers la grande île : on ne revient pas indemne de Madagascar. Et la mise en place de liens affectifs se fait d’autant mieux que le pays d’origine est aimé et respecté
On peut cependant souhaiter que la meilleure information des familles, mais aussi des professionnels de l’enfance français et malgaches, permettent d’éviter des discordances entre l’enfant et que certaines pathologies graves comme les troubles neuro-psychologiques ou l’hépatite B soient mieux appréhendées, et mieux prises en charge dès leur diagnostic.
1- Pierron J. Données socio-familiales de l'adoption internationale en France : étude descriptive réalisée à partir des dossiers des 800 premiers enfants vus à la consultation d'adoption Outremer. Dijon, 2007. Thèse Médecine.
2- de Monléon JV. Qui sont mes parents? Filiation adoptive en fonction du temps et de l'endroit. Arch Pediatr 2000 ; 5 : 529-535.
3- Caille L. Les jumeaux maudits de Mamanjary, in Le Monde : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/09/05/madagascar-les-jumeaux-maudits-de-mananjary_1091891_3212.html
4- de Monléon JV. Naître là-bas, Grandir ici, L’adoption Internationale. Paris : Belin, 2003.
5- Choulot JJ, Mechain S, Saint Martin J, Doireau V, Mensire A. Adoption et portage chronique du virus B. Arch Pediatr 1998 ; 5 : 869-72.
6- de Monléon JV. Surveillance de la croissance des enfants adoptés à l’étranger. Ann Endoc 2001 ; 62 (5) : 458-460.

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